Read in English Rédigé par Jean-Pierre Desrochers de la part de l’Association des juristes d’expression française de l’Alberta. Combler les lacunes en matière d'accès à la justice est une préoccupation urgente dans notre province aujourd'hui. Une partie de cette tâche exige que nous comprenions les besoins directs du public et les obstacles qui existent et qui empêchent le public d'accéder au système. Pour de nombreux francophones vivant en Alberta, la langue demeure l'un de ces obstacles. Depuis sa création, le Campus Saint-Jean, la faculté multidisciplinaire de langue française de l'Université de l'Alberta, a contribué indirectement à aider les Albertains francophones et de langue française à recevoir les services juridiques dont ils ont besoin dans leur propre langue. Alors que la population francophone et de langue française de l'Alberta continue de croître, le rôle du Campus Saint-Jean en matière d'accès à la justice devient encore plus important. L'Alberta a l'une des populations francophones qui augmentent le plus rapidement au Canada. En effet, selon le recensement de 2016, le nombre d'Albertains déclarant le français comme langue maternelle a augmenté de plus de 30 % depuis 2001. Cela fait de l'Alberta la troisième province du pays en termes de population minoritaire francophone, après l'Ontario et le Nouveau-Brunswick.[1]. À mesure que le nombre de francophones et de personnes d'expression française a augmenté dans notre province, la demande pour des services juridiques fournis en français a également augmenté. Prenez par exemple le travail effectué par l'Association des juristes d'expression française de l'Alberta (AJEFA) et son Centre albertain d'information juridique. Cet organisme à but non lucratif, créé pour promouvoir l'accès à la justice en français en Alberta, a servi un peu plus d'un millier de membres de la communauté au cours de sa première année d'existence (entre avril 2015 et mars 2016), dont plus de 70 % étaient en français.[2] Au cours de la période 2019-2020, le nombre de personnes recevant des services juridiques du Centre en français a presque doublé.[3]
Malgré cette demande croissante pour des services juridiques en français, le système de justice actuel de notre province a une capacité opérationnelle bilingue limitée. Dans un sondage mené par le Commissariat aux langues officielles pour déterminer la capacité bilingue des systèmes judiciaires à travers le pays, les répondants ont trouvé que les délais résultant des demandes d'être entendues en français, la disponibilité du personnel judiciaire bilingue et la disponibilité des juges bilingues étaient les plus problématiques[4]. En effet, l'étude a révélé que « même dans les districts ou les villes où il est relativement facile de procéder dans la langue de la minorité, on ne saurait pour autant parler d’un accès égal ou équivalent dans les deux langues officielles. »[5] Il s'agit d'une situation intenable, étant donné l'obligation de bilinguisme qui incombe aux tribunaux en vertu de l'article 530 du Code pénal, comme l'a récemment affirmé la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta dans l'affaire R c Vaillancourt, 2019 ABQB 859, qui s'appuie sur la décision de la Cour suprême dans l'affaire R c Beaulac.[6] Le rôle que joue le Campus Saint-Jean dans l'amélioration de l'accès à la justice pour les francophones et les personnes d'expression française de la province, bien qu'il ne soit ni direct ni facilement mesurable, est essentiel. Étant la seule institution postsecondaire de langue française à l'ouest de Winnipeg, c'est le Campus Saint-Jean où les futurs avocats peuvent aller pour s'instruire en français et vivre et apprendre dans un environnement entièrement français. C'est là que, dans une province dominée par les anglophones, les francophones peuvent aller pour renverser la vague d'assimilation et se connecter à la communauté francophone diversifiée, à ses constituants et à ses enjeux. C'est là que sont ancrés les fondements d'un système de justice accessible à la population francophone de l'Alberta. Aujourd'hui, en raison d'un sous-financement chronique, l'avenir du Campus Saint-Jean est menacé. C'est pour cette raison que l'Association canadienne-française de l'Alberta (ACFA) poursuit la province de l'Alberta et l'Université de l'Alberta en justice. Conformément aux termes de l'accord de 1976 entre les Oblats, l'Université et la Province, le Campus Saint-Jean a été officiellement transféré à l'Université d'Alberta. Cet accord reconnaissait explicitement le rôle du Campus Saint-Jean dans le contexte d'une demande accrue de professeurs de langue française et de francophones dans d'autres postes du gouvernement et de l'industrie. En outre, dans le cadre de cette entente, l'Université a également assumé la responsabilité de déployer tous les efforts possibles pour gérer, maintenir, améliorer et développer le Campus Saint-Jean. Aujourd'hui, cependant, grâce en partie aux réductions de financement du gouvernement albertain et à un gel inexplicable des fonds de réserve, le Campus Saint-Jean est maintenant dans une position où il pourrait voir près de la moitié de ses offres de cours réduites. L'ACFA, l'organisme qui représente les intérêts franco-albertains et à qui les Oblats ont transféré leurs droits en vertu de l'entente de 1976, est d'avis que ce sous-financement (et les récentes coupures en particulier) qui a fait basculer le Campus Saint-Jean est une violation de l'entente de 1976, et peut en outre constituer une violation des droits à l'éducation dans la langue de la minorité garantie par l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. Ce procès vise essentiellement à préserver la langue et la culture françaises en Alberta. Il s'agit de préserver l'un des seuls endroits où les gens, francophones et anglophones, peuvent se rendre pour s'immerger véritablement dans la langue. Ainsi, le résultat de cette poursuite aura des répercussions immédiates sur le niveau d'accès à la justice offert à la communauté francophone de l'Alberta. Si le Campus Saint-Jean continue d'être sous-financé, cela aura sans doute un effet négatif sur la qualité et la disponibilité des services juridiques offerts en français dans la province. ------------------------------------------------------- [1] Proposition pour un Campus Saint-Jean renouvelé au sein de l'initiative de restructuration U of A for Tomorrow présentée au Groupe de travail sur la restructuration académique (ARWG) de l’Université de l’Alberta et Comité directeur de la transformation pour l’excellence du service (SET) (29 juillet 2020) (https://acfa.ab.ca/index-main/wp-content/uploads/2020/08/20200729-ACFA-Mémo-UA-restructuration-CSJ_FR.pdf) [2] Rapport annuel 2015-2016 de l’Association des juristes d’expression française de l’Alberta, page 2-3 (https://www.ajefa.ca/fichiers/documents/Rapport-annuel/AJEFA-rapport-annuel-2016.pdf) [3] Rapport annuel 2019-2020 de l’Association des juristes d’expression française de l’Alberta, page 1,6 (https://www.ajefa.ca/images/rapports-annuels/pdfs/2020_Rapport_annuel_FR.pdf) [4] «L'accès à la justice dans les deux langues officielle : Améliorer la capacité bilingue de la magistrature des cours supérieures», page 19 (https://www.clo-ocol.gc.ca/sites/default/files/access-justice-capacite-bilingue.pdf) [5] https://www.clo-ocol.gc.ca/sites/default/files/access-justice-capacite-bilingue.pdf (page 19). [6] R c Vaillancourt, 2019 ABQB 859 (CanLII), Para 40 (http://canlii.ca/t/j39k3)
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